Auteurs : Gitte Laenen et Yasin Gürbüz Lemstra (GD&A Advocaten)
On ne peut nier la tendance jurisprudentielle croissante à cumuler protection et indemnisation lorsqu’un salarié s’appuie sur de multiples critères protégés. Le Tribunal du travail d’Anvers a également statué dans ce sens dans son jugement du 4 janvier 2024. Entre-temps, le législateur a veillé à ce que la discrimination multiple soit solidement établie.
Disposition précédente
Dans le passé, les juridictions du travail étaient plutôt prudentes quant à la possibilité de cumul entre différentes protections et indemnisations. La raison en était que les différentes réglementations étaient étroitement liées, ce qui signifie que la protection offerte était considérée comme identique.
Par exemple, dans le cas du licenciement d’une salariée enceinte, une certaine jurisprudence estimait, pour la raison susmentionnée, que l’indemnité de protection dans le cadre de la prise d’un congé de maternité au titre de la loi sur le travail ne pouvait être cumulée avec l’indemnité au titre du droit du travail. législation anti-discrimination.[1]
D’autres jurisprudences, en revanche, ont souligné l’absence d’interdiction cumulative explicite et ont vu une différence de finalité : alors que la protection de la maternité en vertu de la loi sur le travail se limitait à garantir le bon déroulement de la grossesse de la salariée, la loi sur le genre va beaucoup plus loin en assurer une protection aux hommes et aux femmes contre la discrimination fondée sur le sexe. Si le salarié a pu prouver deux préjudices distincts, certains ont admis le cumul.[2]
Cela a conduit à une jurisprudence ambiguë.
Mise à jour de la législation anti-discrimination
Entre-temps, le législateur a mis en œuvre plusieurs changements afin d’actualiser la législation anti-discrimination à la lumière des évolutions sociales ainsi que des évolutions du paysage juridique.
On peut citer deux modifications de la loi entrée en vigueur le 30 juillet 2023.[3] respectivement 28 avril 2024[4]qui comprenait les nouveautés suivantes :
Un remplacement ou une extension des critères actuellement protégés : par exemple, « orientation sexuelle » a été remplacée par « orientation sexuelle » et « changement de genre » par « transition médicale ou sociale ». Le critère « origine sociale » a été élargi à « origine ou condition sociale » et un nouveau critère a été ajouté, à savoir « suite à un traitement de fertilité/programme de procréation médicalement assistée » ; La reconnaissance légale d’un plus grand nombre de formes de discrimination : la « discrimination multiple », la « discrimination par association » et la « discrimination fondée sur une prétendue caractéristique » sont désormais légalement enregistrées ; Une évolution des sanctions civiles : possibilité d’imposer judiciairement des mesures positives, des aménagements des montants des dommages et intérêts forfaitaires ainsi que la possibilité expresse de cumuler les dommages en cas de discrimination multiple. De « nouvelles » formes de discrimination
La discrimination multiple est désormais explicitement reconnue, la réglementation distinguant deux formes différentes, toutes deux caractérisées par la coïncidence de deux ou plusieurs critères protégés :
La discrimination multiple cumulée concerne l’individu qui est discriminé dans un même contexte et par un même auteur sur la base de plusieurs critères protégés : par exemple, un candidat masculin plus âgé est rejeté car, selon l’employeur, il ne rentrera pas dans l’équipe. de jeunes salariées. Les critères protégés sont ici séparables, il suffisait qu’il soit de sexe masculin ou âgé pour qu’il n’ait pas été choisi. La discrimination multiple intersectionnelle concerne la personne qui est simultanément discriminée en raison de multiples caractéristiques qui coïncident, alors que la discrimination ne l’affecte que parce que cette personne présente ces caractéristiques en même temps : un hôtel de luxe refuse l’entrée à une femme d’origine asiatique parce qu’elle est soupçonnée qu’elle fournirait des services sexuels aux clients. Contrairement aux discriminations cumulatives, les critères protégés dans ce cas sont indissociables : si la personne concernée était un homme d’origine asiatique ou une femme d’origine européenne, l’entrée ne lui aurait pas été refusée.
L’exposé des motifs précise que des discriminations multiples peuvent exister à la fois au sein et entre les lois anti-discrimination.[5] Compte tenu de la différence de justifications selon le critère protégé, l’exposé des motifs précise également que le système de justification le plus favorable s’appliquera toujours.[6]
Par ailleurs, deux formes de discrimination sont désormais inscrites dans la réglementation, qui font référence à la situation dans laquelle une personne est discriminée sur la base d’un critère protégé sans qu’elle dispose de ce critère :
La discrimination par association fait référence à la situation dans laquelle un individu est discriminé en raison de sa relation étroite avec une personne qui a un critère protégé : par exemple, le travailleur qui est discriminé au motif qu’il a un conjoint appartenant à une minorité ethnique ou le travailleur qui est victime de discrimination parce qu’elle s’occupait de son fils handicapé. La discrimination fondée sur un prétendu critère fait référence à la situation dans laquelle une personne est discriminée en raison de la présomption qu’elle possède une caractéristique protégée sans la posséder réellement : par exemple, la personne qui participe à une action LGBTQIA+ et est ensuite discriminée. en raison de l’orientation sexuelle (prétendue). Discussion du jugement du Tribunal du travail d’Anvers du 4 janvier 2024
Le Tribunal du travail a dû examiner une salariée qui avait récemment accouché et qui avait présenté un certificat d’incapacité de travail pour cause de maladie pendant son congé de maternité, mais qui a été licenciée le lendemain. L’employeur a parlé d’une réorganisation due à des nécessités économiques, faisant référence à la crise du coronavirus et à son impact tant sur le chiffre d’affaires que sur l’effectif.
Le salarié en question réclamait un triple dommage pour discrimination, composé de :
Une indemnité forfaitaire de protection s’élevant à six (6) mois de salaire dans le cadre de la prise d’un congé de maternité (article 40 du Code du travail).[7]); Indemnité forfaitaire équivalant à six (6) mois de salaire pour discrimination fondée sur le sexe (article 5, 5° de la loi sur le genre).[8]); Indemnité forfaitaire s’élevant à six (6) mois de salaire pour discrimination fondée sur l’état de santé (article 4, 6° de la loi anti-discrimination[9]) .
Concernant l’indemnité protectrice dans le cadre de la prise d’un congé de maternité, le Tribunal du travail a estimé que l’employeur ne pouvait pas démontrer que les motifs (économiques) de licenciement invoqués étaient totalement étrangers à la grossesse de la salariée. Après tout, le motif du licenciement était – au moins en partie – que l’employeur souhaitait éviter les coûts salariaux du salaire garanti pendant la maladie de l’intéressé. La maladie étant liée à l’accouchement, le Conseil des Prud’hommes a jugé l’indemnité de protection due.
Dans le même esprit, le Tribunal du travail a également déclaré que lorsqu’un licenciement est contraire à l’article 40 de la loi sur le travail, il constitue en principe également une discrimination interdite fondée sur le sexe au sens de la loi sur le genre. En outre, le salarié pourrait obtenir un renversement de la charge de la preuve en démontrant un soupçon de discrimination fondé, entre autres, sur le moment du licenciement. Comme l’employeur n’a pas non plus été en mesure de réfuter les soupçons de discrimination, il a également été condamné à verser une indemnisation au titre de la loi sur l’égalité des sexes.
De même, l’employé a pu démontrer des soupçons de discrimination en raison de son état de santé, que l’employeur n’a pas non plus réussi à réfuter et a également été condamné à payer des dommages-intérêts en vertu de la loi anti-discrimination.
Le Conseil du travail s’est ensuite également prononcé sur la possibilité d’un cumul.
La Cour est parvenue à la conclusion que la combinaison d’une protection et d’une indemnisation a toujours été possible et a désormais également été expressément confirmée par l’employeur.
Ce faisant, la Cour a cité – bien qu’il ne soit pas encore applicable au litige en question – le nouvel article 18, §2, 3° et 4° de la loi anti-discrimination, qui stipule que le juge doit apprécier l’opportunité d’un cumul d’indemnités forfaitaires en cas de discrimination multiple. Compte tenu du fait que le salarié a justifié divers dommages et que l’employeur n’avait avancé aucune raison s’opposant au cumul des indemnisations autre que la contestation de la responsabilité de l’indemnisation elle-même, la Cour a jugé le cumul approprié. L’employeur a été condamné à payer des dommages et intérêts pour discrimination multiple s’élevant à douze (12) mois de salaire ainsi que pour violation de la protection contre le licenciement applicable s’élevant à six (6) mois de salaire, soit un total de dix-huit (18) mois de salaire. , soit 68 024,94 euros.
Alors méfiez-vous des employeurs…
Les autorités locales, en tant qu’employeurs (publics), relèvent également du champ d’application de la législation anti-discrimination.
La discussion précédente montre que les autorités locales ont tout intérêt à garder à l’esprit le risque d’une plainte pour discrimination (multiple), car les dommages qui en résultent peuvent être élevés.
Bien que la charge de la preuve de discrimination incombe initialement à l'(ancien) salarié, il peut facilement renverser la charge de la preuve si le soupçon de discrimination peut être établi. Compte tenu de la reconnaissance explicite actuelle de la discrimination multiple, les employeurs devront sérieusement envisager de déposer des plaintes fondées non seulement contre l’allégation de discrimination elle-même, mais également contre l’effet cumulatif allégué.
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Qu’il soit de grande envergure ou non, le législateur envoie un signal clair en faveur d’un instrument législatif encore plus progressiste et protecteur.
[1] Profit. Bergen, 15 mars 2013 ; Profit. Bruxelles, 3 septembre 2014 ; Arbrb. Bruxelles, 29 juin 2015.
[2] Arbrb. Nivelles 10 mars 2016 ; Arbh. Bergen, 26 octobre 2018.
[3] Loi modifiant la loi du 30 juillet 1981 relative à la répression de certains actes motivés par le racisme ou la xénophobie, la loi du 10 mai 2007 relative à la lutte contre certaines formes de discrimination et la loi du 10 mai 2007 relative à la lutte contre les discriminations entre les femmes et les hommes, BS du 20 juillet , 2023.
[4] Loi modifiant le Code du travail du 16 mars 1971 et la loi du 10 mai 2007 relative à la lutte contre les discriminations entre les femmes et les hommes, instaurant la protection des travailleuses et salariées absentes du travail pour un traitement de fertilité ou un programme de procréation médicalement assistée, BS 18 avril , 2024.
[5] Exposé des motifs du projet de loi modifiant la loi du 30 juillet 1981 relative à la répression de certains actes motivés par le racisme ou la xénophobie, la loi du 10 mai 2007 relative à la lutte contre certaines formes de discrimination et la loi du 10 mai 2007 relative à la lutte contre les discriminations entre les femmes et les hommes , Parl. Saint-Kamer 2022-23, 55-3366/001, p18
[6] Ibid., 9.
[7] Loi sur le travail du 16 mars 1971, BS du 30 mars 1971.
[8] Loi du 10 mai 2007 visant à lutter contre les discriminations entre les femmes et les hommes, Moniteur belge du 30 mai 2007.
[9] Loi du 10 mai 2007 visant à lutter contre certaines formes de discrimination, Moniteur belge du 30 mai 2007.
Source : GD&A Advocaten