Auteur : De Broeck Van Laere & Associés
L’abus fiscal signifie que l’intention de la loi est « contrecarrée » par l’optimisation fiscale. Pour appliquer cette disposition, l’administration fiscale doit d’abord être en mesure de démontrer quelle est l’intention de la loi. À en juger par un nouvel arrêt de la Cour de cassation, cela ne poserait peut-être pas trop de problèmes au fisc. Après tout, la Cour constate, dans une discussion sur l’article 537 du WIB 1992 (la soi-disant « liquidation interne »), que l’intention ressort clairement du texte de la loi lui-même. Le fait qu’il n’y ait rien de noir sur blanc dans les préparatifs parlementaires ne semble pas avoir beaucoup d’importance.
L’abus fiscal signifie qu’un contribuable réclame un avantage fiscal contraire aux objectifs de la disposition légale pertinente. C’est là toute la portée de la fameuse « disposition générale anti-abus » de l’article 344, §1 du WIB 1992.
Article 537 : « Règlement interne »
L’administration fiscale a déjà fréquemment appliqué cette disposition dans le cadre de l’article 537 du WIB 1992. On parle communément de « règlement interne » ou de « blocage du capital » des réserves. Ce système, aujourd’hui remplacé par le régime des réserves de liquidation, signifiait qu’une société versait un dividende prélevé sur les réserves imposées et intégrait ensuite immédiatement ce montant au capital. Un précompte mobilier a été retenu sur le paiement au taux spécial de 10 %.
L’attrait d’une telle opération résidait dans le fait qu’aucune retenue à la source n’était due sur la distribution ultérieure de ce capital “immobilisé” ou seulement à un taux avantageux. Le dispositif a donc été instauré à l’occasion de l’augmentation de l’impôt sur les bonis de liquidation à 25 % (aujourd’hui 30 %). Un « règlement interne » a offert aux entreprises la possibilité d’échapper à cette augmentation pour leurs réserves existantes.
Réduction de capital simultanée : abus fiscal ?
Le problème – du moins aux yeux du fisc – était que certaines sociétés procédaient également à une réduction de capital en même temps qu’une telle “liquidation interne”. Des réserves ont ensuite été ajoutées (« verrouillées ») au capital. Mais en même temps, ce capital a diminué en raison d’une réduction de capital. Le résultat final a été que le capital n’a pas augmenté, ce qui signifie que le « règlement interne » a été en quelque sorte vain et que la technique a donc été utilisée de manière inappropriée, a soutenu le fisc.
Le versement du dividende, qui constitue la première phase d’un “règlement interne”, ne devrait donc pas être imposé à 10% mais au taux normal de 25%, selon le fisc. C’est la conséquence de l’abus fiscal : le fisc peut ignorer une transaction fiscalement avantageuse et prétendre qu’il s’est produit autre chose (en l’occurrence un paiement normal de dividendes).
Regarder l’intention de la loi en préparation parlementaire ?
Les contribuables concernés se sont défendus en faisant valoir qu’il ne pouvait être question d’abus fiscal parce qu’ils n’avaient pas agi contrairement aux objectifs de l’article 537 WIB 1992. Après tout, il ressort clairement de la préparation parlementaire de la loi qui a introduit cet article que le l’intention du législateur était de prendre une mesure transitoire pour atténuer les conséquences de l’augmentation de l’impôt sur les bonis de liquidation. Une augmentation durable du capital n’était apparemment pas un objectif du législateur. L’intention de la loi n’a donc pas été « contrecarrée » par la mise en œuvre également d’une réduction de capital en même temps qu’une « liquidation interne ».
Plusieurs cours d’appel l’ont également vu de cette façon. Ils ont étudié les documents parlementaires et ont effectivement lu que la mesure était proposée à titre transitoire dans le cadre d’un impôt plus lourd sur les primes de liquidation. Il n’a été suggéré nulle part qu’il était interdit de procéder simultanément à une réduction de capital. Le fisc a donc été rappelé. Selon ces cours d’appel, il n’y avait pas d’abus fiscal.
Ces jugements avaient potentiellement une importance énorme. Dans de nombreux cas, les travaux préparatoires restent vagues sur l’intention de la loi, sans parler de détailler tous les cas qui constituent des abus. Dans de telles situations, il serait donc impossible pour l’administration fiscale d’invoquer la disposition générale anti-abus.
Cassation : « le texte lui-même »
Mais il apparaît désormais que la Cour de cassation ne l’entend pas de manière aussi stricte. Il s’agissait d’un arrêt de la Cour d’appel de Gand qui s’inscrivait en réalité dans une ligne différente du raisonnement de la jurisprudence majoritaire exposé ci-dessus. Le Tribunal de Gand a jugé qu’« en réduisant d’abord le capital et en arrivant finalement à une augmentation de capital plus limitée que pour le montant des dividendes correspondant à la réduction des réserves imposées, le [vennootschap] a réalisé une opération qui ne répond pas à l’intention du législateur ».
Le contribuable s’est pourvu en cassation, mais le jugement de Gand a été confirmé par la Cour de cassation. Le fisc a donc raison.
Selon les termes de la Cour de cassation : « Il résulte du texte même de l’article 537 WIB92 que le législateur n’a voulu accorder la mesure provisoire favorable (…) qu’à la condition que les dividendes distribués à partir des réserves imposées auxquelles le taux réduit appliqué est utilisé pour une augmentation de capital renforçant le capital de la société, au moins pour une certaine durée.
La mise en œuvre d’une réduction de capital juste avant ou simultanément à la [interne vereffening]va à l’encontre de l’objectif de cette disposition législative.
La Cour ne fournit pas d’explications supplémentaires, mais il semble qu’il soit possible de déduire l’intention de la loi à partir du texte juridique lui-même, même si l’on découvre ainsi une intention qui ne ressort pas de la préparation parlementaire. La manière dont il faut lire correctement la loi pour en extraire son « intention » n’est pas clarifiée. Mais si la conclusion de cet arrêt peut être étendue à d’autres régimes fiscaux favorables, il apparaît qu’il deviendra plus facile pour le fisc d’appliquer la disposition générale anti-abus.
Arrêt de la Cour de cassation du 26 octobre 2023
Source : De Broeck Van Laere & Associés