Auteur : Aala Abdulhaliq (Cottyn Advocaten)
La législation belge en matière de marchés publics a récemment subi des changements importants afin d’accroître l’accès des PME aux marchés publics.
Bien que ces PME représentent la part du lion du nombre d’entreprises en Belgique (un impressionnant 99,8% du nombre total d’entreprises en Belgique), génèrent un volume d’emploi important et contribuent de manière significative à la création de richesse en Belgique, les PME reçoivent cependant moins de la moitié de la valeur totale des marchés publics attribués dans l’Union européenne. Plus inquiétant encore est le fait que depuis 2017, la participation des PME aux marchés publics a diminué.
Le législateur tente de changer cette situation grâce à la récente modification de la loi. Le 8 janvier 2024, la loi du 22 décembre 2023 modifiant la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics a été publiée au Moniteur belge, qui introduit quelques mesures importantes pour atteindre cet objectif, notamment dans le domaine de 1) l’octroi d’avances, 2) l’attribution des indemnités de soumission et 3) la communication de la position d’une offre dans le classement provisoire après ouverture.
En gardant ce contexte introductif à l’esprit, nous approfondissons maintenant les mesures spécifiques qu’implique ce changement de loi et son impact sur les PME dans le monde des marchés publics.
Les changements les plus importants
1. Le système de paiement anticipé, un tremplin financier
1.1. Principe général concernant l’octroi d’avances
La loi modifiée prévoit des dispositions entièrement nouvelles concernant le paiement d’avances aux entrepreneurs dans le cadre des marchés publics.
Avant la modification de la loi, le point de départ, conformément à l’article 12/1 de la loi sur les marchés publics, était que les pouvoirs adjudicateurs ne sont en principe pas obligés d’accorder des avances, mais ont toujours la possibilité de le faire, dans la mesure où ils en ont cela est prévu dans les documents contractuels.
Le principe de base reste que les acheteurs ne sont pas obligés d’accorder des avances, sauf dans deux cas exceptionnels où certains acheteurs sont obligés d’accorder une avance (par commodité nous nous référerons aux hypothèses 1 et 2 ci-dessous). Cela concerne l’Etat, les Régions, les Communautés, les collectivités territoriales ainsi que les entités adjudicatrices dont les activités sont financées principalement par l’une de ces collectivités et dont la gestion est soumise à leur contrôle.
Depuis le 1er janvier 2024, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus d’accorder une avance dans les hypothèses suivantes :
Hypothèse 1 : lorsque les pouvoirs adjudicateurs recourent à la procédure négociée sans publication préalable, du fait i) que la valeur du marché est inférieure à 143 000 euros (hors TVA), ii) qu’aucune demande de participation ou offre appropriée n’a été déposée suite à une procédure ouverte ou restreinte, ou (iii) le marché porte sur la fourniture de produits fabriqués exclusivement à des fins de recherche, d’expérimentation, d’étude ou de développement. Hypothèse 2 : lorsqu’une procédure autre que la procédure négociée est appliquée sans préavis et que le contractant est une PME.
La nouvelle disposition de la loi prévoit 5 exceptions spécifiques aux deux hypothèses évoquées ci-dessus, dans lesquelles le pouvoir adjudicateur précité n’est pas tenu de verser une avance, à savoir :
pour les missions portant tant sur le financement que sur l’exécution des travaux et sur toutes prestations fournies dans ce cadre ; pour les missions liées au crédit-bail, à la location ou à la location-vente ; pour des missions dans le cadre de prestations d’assurance ; pour les missions dont le paiement s’effectue sur la base d’un abonnement ou d’une consommation périodique ; pour les missions dont le délai d’exécution est inférieur à deux mois.
La modification de la loi prévoit que le régime de paiement anticipé ne s’applique pas au contrat-cadre lui-même, mais uniquement aux commandes individuelles passées conformément aux conditions du contrat-cadre.
1.2. Mesure de calcul de l’acompte
1.2.1. La valeur de référence
Les nouvelles dispositions légales prévoient des réglementations détaillées concernant le montant et la méthode de calcul des avances, basées sur un pourcentage d’une certaine valeur de référence. La valeur de référence est calculée en fonction de la durée du marché public, plus précisément :
Pour les missions d’une durée maximale de 12 mois, la valeur de référence est fixée égale au montant initial de la mission, taxes comprises ; Pour les missions d’une durée supérieure à 12 mois, un montant inférieur est retenu pour éviter que l’acompte ne devienne trop élevé. La valeur de référence est calculée en multipliant le montant initial de la commande par 12, puis en divisant par la durée prévue de la commande en mois ; Pour les missions à durée indéterminée, la valeur de référence est la valeur mensuelle de la convention multipliée par 12.
1.2.2. Montant de l’acompte
Sauf quelques cas exceptionnels, le montant de l’avance ne peut excéder le plafond de 225 000 euros.
Dans la première hypothèse, l’avance est en principe de 15 % de la valeur de référence.
Dans la deuxième hypothèse, le pourcentage varie en fonction du type de PME à laquelle le marché a été/est attribué, concrètement cela signifie :
Pour une micro-entreprise, le pouvoir adjudicateur doit accorder une avance de 20% sur la valeur de référence ; Pour une petite entreprise, l’avance minimale à accorder est de 10 % et maximale de 20 % de la valeur de référence (un pourcentage supérieur à 10 % doit être indiqué par le pouvoir adjudicateur dans le cahier des charges) ; Pour une entreprise de taille moyenne, l’acompte s’élève au minimum à 5 % et au maximum à 20 % de la valeur de référence (un pourcentage supérieur à 10 % doit être indiqué par le pouvoir adjudicateur dans les documents contractuels).
Comme mentionné ci-dessus, l’avance ne peut en principe pas dépasser 225 000 euros, même si le calcul basé sur des pourcentages conduisait à un montant plus élevé.
Même dans le cas où les pouvoirs adjudicateurs incluent volontairement une avance dans le cahier des charges, celle-ci ne peut excéder 20 % de la valeur de référence, compte tenu du plafond de 225 000 euros.
Ce n’est que dans certains cas spécifiques, déjà prévus à l’article 67 du BC d’application, que les entités adjudicatrices peuvent s’écarter du pourcentage maximum de 20 % et appliquer un pourcentage plus élevé.
1.3. Régler les avances
Sauf disposition contraire dans les documents de commande, le remboursement de l’acompte s’effectuera en deux phases pour les commandes pour lesquelles des acomptes sont prévus. Dans ce cas, la première moitié de l’acompte sera imputée sur les sommes dues au contractant dès que la valeur des prestations exécutées atteint au moins trente pour cent du montant initial de la commande. La seconde moitié sera réglée lorsque les prestations fournies représenteront au moins soixante pour cent du montant initial de la commande.
A défaut d’acompte, l’acompte sera déduit de la facture finale.
2. Frais d’enchères
Un autre aspect crucial de la récente modification de la loi concerne l’attribution des frais d’appel d’offres, un concept innovant qui reconnaît et récompense la créativité et les efforts artistiques. A compter du 1er février 2024, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus d’accorder une compensation de soumission aux soumissionnaires non retenus lorsque les documents contractuels nécessitent des échantillons, des modèles, des prototypes, des dessins, d’autres graphismes ou toute autre conception dans les domaines des arts plastiques, des arts musicaux, des les arts cinématographiques ou les arts du spectacle doivent être ajoutés aux citations. Il existe cependant des exceptions à cette obligation, à savoir :
Le recours à la procédure ouverte ou à la procédure négociée simplifiée avec publication préalable libère le pouvoir adjudicateur de cette obligation, car il serait pratique et financièrement risqué d’imposer une obligation sans possibilité de limiter le nombre d’offres présentées. Aucun frais d’appel d’offres n’est payable au soumissionnaire sélectionné ; Les soumissionnaires dont les offres sont substantiellement irrégulières ou inacceptables ne recevront aucune compensation ou seulement une compensation réduite, dans la mesure prévue dans les documents contractuels.
Le montant exact des frais d’appel d’offres et le délai de paiement doivent être précisés par l’acheteur dans les documents contractuels. Il est important de préciser que le législateur ne prescrit/ne prévoit pas de frais de soumission minimum dans l’amendement à la loi. Les pouvoirs adjudicateurs devront raisonnablement déterminer un montant qui devra être proportionné à l’objet de la mission.
Le cadre pragmatique de la rémunération sans minimum légalement fixé offre aux acheteurs la possibilité d’adapter la rémunération aux caractéristiques spécifiques de la mission, ce qui garantit un rapport équilibré entre les efforts créatifs ou intellectuels déployés et la rémunération proposée.
Même si cette obligation ne s’applique pas à toutes les procédures, elle marque une avancée pour reconnaître et encourager les efforts financiers des entreprises participantes, ce qui favorise la concurrence.
3. Annonce de la position provisoire dans le classement
Les changements récents incluent également l’obligation de communiquer les places dans le classement provisoire pour les marchés non européens, dans le but d’accroître la transparence du processus de passation des marchés publics et de promouvoir l’accès des PME aux marchés publics.
À partir du 1er juin 2024, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus d’informer chaque soumissionnaire de sa position individuelle dans le classement provisoire immédiatement après l’ouverture des offres.
Ce mécanisme/système n’est mis en œuvre que pour les marchés 1) inférieurs aux valeurs seuils européennes, 2) passés dans le cadre d’une procédure de marché public ou restreint, 3) pour lesquels l’offre économiquement la plus avantageuse est choisie sur la base du prix comme seul critère d’attribution.
Afin de minimiser le risque d’accords anticoncurrentiels et de ne pas influencer de manière injustifiée le processus décisionnel du pouvoir adjudicateur, seule la position individuelle dans le classement est communiquée, et non les noms ou positions des autres soumissionnaires. En outre, la loi interdit explicitement aux personnes inscrites de communiquer à des tiers les informations obtenues sur leur position individuelle dans le classement.
Il est important de souligner que la communication de la place individuelle dans le classement n’est que provisoire et soumise à une vérification plus approfondie des offres, y compris des contrôles de régularité et des enquêtes de prix, et ne confère aucun droit au soumissionnaire concerné.
Cette approche transparente permet aux entreprises de mieux comprendre leur position dans le classement et d’estimer leurs chances d’obtenir le marché, ce qui est particulièrement précieux lorsque le délai entre la conclusion du contrat et le début des travaux est limité et que les soumissionnaires doivent respecter une période d’engagement prolongée. .
Source : Cottyn Advocaten