Auteurs : Caroline Costermans, Sam Dejaegere et Ruben Lemmens (Deloitte Legal)
Une condition importante pour donner une entreprise familiale en franchise d’impôt ou permettre sa transmission à un taux réduit (3% ou 7%) en droits de succession est l’exercice d’une activité économique. Le tribunal de première instance de Gand s’est prononcé le 9 janvier 2024 sur la question de savoir si une simple location intragroupe suffit comme activité économique admissible, si des biens immobiliers privés sont également présents dans cette entreprise.
Des faits concrets
Il s’agissait d’une société immobilière dont la majorité des actions était détenue directement par le testateur. L’entreprise fait partie d’un groupe actif dans les machines-outils, les machines agricoles et de jardin. Toutes les sociétés du groupe étaient sous direction centrale.
L’entreprise possède plusieurs bâtiments industriels qui sont loués exclusivement à d’autres sociétés du groupe à des fins de rémunération. L’entreprise a contracté divers emprunts pour réaliser d’importants investissements dans cette activité, ce qui signifie qu’elle est soumise à des risques commerciaux. Outre ces immeubles commerciaux, la société possède la nue-propriété d’un appartement dont l’usufruit est détenu par la mère du testateur.
Sur la base des critères légaux (le total du bilan est constitué à plus de 50 % de biens immobiliers et les frais de personnel s’élèvent à 1,5 % ou moins du total du bilan, au cours de l’un des trois exercices précédents), la société est présumée avoir un manque d’activité économique réelle.
Les héritiers estiment cependant qu’il existe suffisamment de preuves contraires pour réfuter cette présomption légale et ont demandé l’application du taux réduit pour la succession d’une entreprise familiale, mais cela n’a pas été accordé par l’administration fiscale flamande (ci-après « Vlabel »).
La position de Vlabel
Dans sa circulaire 2015/2, Vlabel applique le principe selon lequel la location de biens immobiliers peut être éligible contre justification du contraire, mais uniquement lorsqu'”elle concerne des immeubles tertiaires appartenant exclusivement à une ou plusieurs filiale(s) active(s))( et) utilisé. Toute autre forme de location (location à des particuliers ou à des professionnels extérieurs à la structure du groupe) ne sera donc pas acceptée comme preuve contraire et sera toujours considérée comme un patrimoine privé.
Dès lors que la société détient des biens immobiliers à caractère privé, Vlabel n’acceptera aucune preuve contraire, quelle que soit la part ou le pourcentage que représentent ces biens immobiliers privés dans le total du patrimoine immobilier de la société.
Dans un arrêt du 1er juin 2021, cette vision stricte a été rejetée par la Cour d’appel de Gand. Le tribunal a jugé que la position de Vlabel n’est pas cohérente avec le texte littéral du Code fiscal flamand (VCF), qui ne prévoit pas que la contre-preuve n’est plus possible dès que l’entreprise possède ne serait-ce qu’un seul bien immobilier privé. En effet, le texte du VCF ne montre nulle part qu’une distinction doit être faite en fonction du type de bien immobilier lors de l’évaluation des contre-preuves.
Dans un autre arrêt du 21 juin 2022, la Cour d’appel de Gand a confirmé que les activités immobilières (y compris la location à des tiers) peuvent en elles-mêmes être considérées comme une activité économique, si ces activités dépassent la gestion purement passive de biens immobiliers et reposent sur sur la manière durable de créer de la valeur ajoutée sociale. Le tribunal a prévu un certain nombre de critères pouvant être pris en considération, tels que le risque commercial et l’organisation de l’activité. Dans le jugement discuté ici, l’activité a également été testée par rapport à un certain nombre de ces critères.
Entre-temps, Vlabel semble s’écarter de sa position dans la circulaire et de plus en plus de décisions préliminaires positives sont rendues à l’égard d’entreprises familiales exerçant des activités immobilières commerciales. Il reste toutefois à voir comment Vlabel traitera en pratique avec les entreprises qui, en plus d’exercer une activité économique, détiennent également des biens immobiliers privés.
Appréciation par le tribunal de première instance
Dans l’affaire portée devant le tribunal de première instance de Gand, l’activité de la société en question consistait uniquement à louer des immeubles commerciaux à d’autres sociétés du groupe. Seule la nue-propriété d’un appartement n’était pas utilisée pour l’activité commerciale, puisque l’usufruit de ce même appartement était détenu par la mère du testateur.
Le tribunal fait valoir que le VCF exige seulement que les contribuables apportent la preuve de l’existence d’une activité économique réelle, mais non de l’existence exclusive d’une telle activité à l’exclusion de toute autre activité immobilière.
Le VCF ne prévoit pas d’application proportionnelle du taux préférentiel dans un tel cas (à savoir l’existence d’une activité « mixte »).
Conclusion
Par cet arrêt, le tribunal confirme les principes énoncés dans les arrêts susmentionnés de la Cour d’appel de Gand. Par conséquent, il reste possible d’apporter la preuve contraire qu’une entreprise exerce une réelle activité économique, même si cette même entreprise possède des biens immobiliers privés. Il suffit de prouver que l’entreprise a effectivement une activité économique, à laquelle peut également prétendre la simple location de biens immobiliers allant au-delà de la simple gestion passive.
Cet arrêt constitue une fois de plus une évolution favorable pour les entreprises familiales qui détiennent des biens immobiliers privés et/ou louent des biens immobiliers de manière professionnelle. Cependant, nous pensons qu’une bonne motivation pour postuler au tarif préférentiel est essentielle. Notre équipe se fera un plaisir de vous aider.
Bron : Deloitte Legal