Auteurs : Ewoud Willaert, Anouk Schryvers et Marie Soenen (Schoups)
Si un propriétaire refuse le renouvellement du bail, le locataire a droit dans certains cas à une indemnité forfaitaire d’expulsion, conformément à la loi sur les baux commerciaux. Mais dans quel cas les partis peuvent-ils déroger à ce régime juridique ? Dans son arrêt du 10 octobre 2024, la Cour de cassation apporte plus de précisions sur la possibilité pour les parties de conclure un accord sur les indemnités d’expulsion dues.
Un locataire commercial a en principe le droit de demander le renouvellement de son bail. Un propriétaire ne peut le refuser que pour certaines raisons et/ou moyennant indemnisation, par exemple parce qu’il a l’intention de reconstruire le bien loué (art. 16, I, 3° Loi sur le bail commercial). L’article 25, premier alinéa de la loi sur les baux commerciaux détermine le montant forfaitaire de l’indemnité d’éviction à laquelle le locataire peut prétendre après un refus de renouvellement du bail. Par exemple, l’indemnisation forfaitaire s’élève à trois ans de loyer si le propriétaire ne met pas en œuvre le motif de refus dans un délai de six mois et pendant au moins deux ans, avec le droit pour le locataire d’être indemnisé de son préjudice réel si celui-ci était plus élevé. (art. 25, alinéa 1, 3° Loi sur le bail commercial).
Le même article précise que cette disposition s’applique « sauf accord contraire » : les parties peuvent également convenir mutuellement du montant d’une éventuelle indemnité d’expulsion. Toutefois, un tel accord ne peut être conclu à aucun moment : les parties ne peuvent contracter l’indemnité d’expulsion qu’au moment où naît le droit à cette indemnisation, et pas avant. Tout contrat conclu avant cela est inopposable. Ce principe était établi depuis un certain temps (Cass. 21 décembre). Dans un arrêt du 10 octobre 2024, la Cour de cassation précise à partir de quand exactement les parties peuvent conclure un règlement valable.
Dans l’affaire sous-jacente, le propriétaire avait refusé le renouvellement en raison de projets de rénovation du bâtiment. Lorsque le locataire a quitté la propriété, les parties ont signé un accord de règlement qui accordait au locataire une indemnité d’expulsion équivalant à un an de loyer, couvrant finalement toutes les factures. Deux ans plus tard, le locataire a déclaré le propriétaire en demeure en vertu de l’article 25, alinéa 1, 3° de la loi sur les baux commerciaux. Elle réclamait une indemnité d’expulsion correspondant à trois ans de loyer car, selon elle, les travaux de rénovation n’avaient pas commencé dans le délai légal et le propriétaire n’avait donc pas compris à temps le motif de son refus.
Le juge de paix a d’abord déclaré fondée la réclamation du locataire. Le tribunal de première instance a infirmé ce jugement en appel et a jugé que les parties avaient conclu un accord valable sur l’indemnité d’expulsion, de sorte que le locataire ne pouvait plus prétendre à une indemnisation complémentaire.
La décision du juge d’appel a été infirmée par la Cour de cassation. La Cour précise que le délai dans lequel le propriétaire doit prendre conscience du motif de son refus ne commence à courir que lorsque le locataire a effectivement quitté le logement. Le droit à une indemnité d’expulsion en vertu de l’article 25, paragraphe 1, 3° de la loi sur les baux commerciaux naît uniquement si le propriétaire, sans motif valable, ne met pas en œuvre son motif de refus dans un délai de six mois et deux ans à compter de ce moment. Il s’ensuit qu’un accord sur une indemnité d’expulsion ne peut être valablement conclu qu’après l’expiration de ce délai.
La Cour de cassation décide donc que le juge d’appel a considéré à tort l’accord que les parties ont conclu le jour du départ du locataire comme juridiquement valable. Au moment de la signature, le locataire en question ne pouvait (encore) valablement renoncer à son droit à une quelconque indemnisation pour cause de réalisation tardive du motif de refus : le délai de réalisation de ce motif n’ayant commencé que le jour même, aucun droit n’était encore disponibles à ce moment-là résultent d’une compensation. Les parties ne pouvaient donc pas encore conclure un accord et le propriétaire ne pouvait pas s’appuyer sur l’accord dans cette affaire pour échapper à une éventuelle indemnisation supplémentaire. La Cour de cassation opte donc pour la protection du locataire.
Ce jugement montre l’importance pour le propriétaire de connaître dans les délais les motifs qui l’ont poussé à refuser le renouvellement du bail. Un accord sur l’indemnité d’éviction conclu suite au refus du renouvellement ou au départ du locataire ne sera pas opposable conformément à cette jurisprudence.
Source : Schoups