Auteurs : Damien Stas de Richelle et Olivia Vansteelant (Laurius)
Reconnaître un email personnel dans la boîte mail professionnelle d’un collègue n’est pas une raison urgente, mais le transmettre délibérément et consciemment à des tiers l’est.
Arbh. Bruxelles, le 16 octobre 2024, 2022/AB/1
Le Tribunal du Travail de Bruxelles s’est récemment prononcé sur un licenciement pour motifs urgents concernant la transmission d’un email personnel d’un collègue à des tiers par un autre salarié.
Concrètement, ces faits concernent le suivant : un salarié a consulté la boîte mail d’un collègue pour résoudre un problème avec un client. L’employé est tombé sur un courriel indiquant que son collègue avait postulé pour un autre poste. Il a adressé ce mail à un supérieur hiérarchique et à un collaborateur d’une autre entité du groupe (responsable RH) avec le commentaire « charmant… ».
Le salarié est finalement licencié pour des motifs graves, qu’il conteste par la suite. Il réclame une indemnité de départ ainsi qu’une indemnité pour licenciement manifestement abusif.
Le Conseil des prud’hommes précise que la connaissance du courrier électronique présent dans la boîte aux lettres de son collègue s’est produite dans un contexte professionnel conforme aux usages de l’entreprise et à la connaissance de ses collègues, et que cela était fortuit et involontaire.
Le tribunal précise ensuite que la prise de connaissance du courrier électronique à caractère personnel d’un collègue ne constitue pas une erreur, mais c’est en revanche le cas du transfert conscient et intentionnel de ce courrier électronique personnel, pour les raisons suivantes :
Le salarié licencié ne pouvait sérieusement prétendre qu’il ne pouvait pas apprécier le caractère personnel du courrier électronique, compte tenu de l’ajout de son commentaire ironique lors de la transmission du courrier électronique à des tiers ; Étant donné que l’e-mail n’était pas adressé au salarié licencié, qu’il ne lui était pas destiné et que cet e-mail n’avait pas de caractère professionnel, le salarié licencié a délibérément divulgué cet e-mail à des tiers dans la communication.
La Cour précise en outre que s’il est vrai qu’un salarié qui prend connaissance du contenu d’un courrier électronique personnel provenant d’un collègue n’a pas l’intention de violer les règles en matière de protection des données personnelles, il en va tout autrement lorsque ce salarié transmet cet email personnel à deux autres personnes, en l’occurrence un supérieur hiérarchique et un membre du personnel d’une autre entité du groupe.
En outre, la Cour constate qu’un tel acte déloyal conduit à la violation de son obligation de respecter les données personnelles de son collègue, la confidentialité et la confiance qui doivent prévaloir dans les relations de travail entre collègues.
Le salarié a également commis une infraction à l’article 124, 4° de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques.
La Cour a finalement rejeté les prétentions du salarié, les motifs impérieux étant fondés en substance.
Il est à noter que la Cour ne cite finalement pas les principes du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) et les principes de l’Autorité de Protection des Données compte tenu de l’absence totale de consentement du collègue concernant l’e-mail personnel. Toutefois, l’e-mail personnel et son contenu constituent des données personnelles au sens de l’article 4.1) du RGPD, dans la mesure où ils concernent des informations sur une personne physique identifiée ou identifiable. La consultation et la transmission du courrier électronique sont également définies comme un « traitement ».
En effet, on pourrait conclure que l’employé concerné a enfreint les dispositions du RGPD, telles que le principe de limitation de la finalité (article 5.1 b) du RGPD), c’est-à-dire le fait que les données ne peuvent pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec avec ces finalités (résolution d’un problème client) en combinaison avec le non-respect de la minimisation des données (5.1 c) RGPD), étant donné que le traitement des données est suffisant, pertinent et se limiter à ce qui est nécessaire à cet effet.
Lors d’une recherche dans la boîte mail de son collègue, le salarié concerné aurait dû au préalable décider de ne pas ouvrir le mail lorsqu’il est tombé sur le mail en question. On peut tomber accidentellement ou involontairement sur un e-mail personnel, mais on ne peut pas l’ouvrir accidentellement et lire son contenu. Cela nécessite des actions conscientes.
L’employé savait qu’il s’agissait d’un e-mail à caractère personnel (et ne peut sérieusement le contester compte tenu du commentaire ironique) et que l’e-mail n’était pas pertinent et suffisant pour résoudre le problème du client.
Le tribunal pourrait être d’avis que la simple consultation « accidentelle »/« non intentionnelle » de l’e-mail personnel n’est pas suffisamment grave et pesante pour justifier un licenciement pour motif urgent au motif d’une violation du RGPD. Le tribunal a jugé que la transmission intentionnelle de l’e-mail privé à des tiers avec l’ajout d’un commentaire ironique allait trop loin.
Source : Laurius