Auteurs : Gitte Laenen et Benjamin Gorrebeeck (GD&A Advocaten)
Dans son arrêt du 17 mars 2023, le Conseil d’État confirme qu’un soumissionnaire peut toujours inclure les prix dans son offre de prix dans une mesure récapitulative, sous réserve de remplir un certain nombre de conditions précises.[1]
Le 16 janvier 2023, la commune de Zele a attribué un marché public pour des travaux de construction à Bouwbedrijf VMG-De Cock. Le soumissionnaire non-bénéficiaire a déposé une demande de suspension en cas d’extrême urgence auprès du Conseil d’Etat contre cette décision d’attribution.
Le soumissionnaire bénéficiaire n’avait pas indiqué de montant comme prix unitaire pour 13 articles de l’enquête, mais avait inscrit le mot «inclus». La commune de Zele a supposé qu’il s’agissait d’une erreur et a demandé au soumissionnaire de répartir les prix entre les articles prévus. Le soumissionnaire a répondu que cela n’était pas nécessaire, car la mention « inclus » serait claire et ne prêterait pas à discussion. Les coûts ont été transférés au sein des « éléments connexes ». Le soumissionnaire a ensuite défendu cette position poste par poste. En outre, il s’agissait tous de montants forfaitaires, ce qui, selon le soumissionnaire, exclurait tout caractère spéculatif. Cela ne rendrait en aucun cas incertaine l’obligation d’exécuter la mission. Enfin, le coût total de ces éléments était négligeable par rapport au montant total de la mission.
Le requérant estimait que le pouvoir adjudicateur aurait dû déclarer cette offre irrégulière, car la fusion de plusieurs éléments rendrait impossible l’évaluation et la comparaison des offres. L’obligation du soumissionnaire d’exécuter le marché dans les conditions fixées deviendrait également incertaine.
À propos de la technique du « clustering », ou de la fusion des éléments de l’enquête récapitulative
Le regroupement de plusieurs prix unitaires (y compris pour justifier un prix apparemment anormal) est une technique courante.[2] Un prix unitaire (justifiable) est combiné avec d’autres prix unitaires pour démontrer que le prix du cluster dans son ensemble est effectivement conforme au marché.[3] Cette technique pourrait également permettre des économies d’échelle.[4]
Au début, il y avait un désaccord sur la licéité de cette pratique. En 2012, la chambre francophone du Conseil d’État ne l’a pas autorisé, en raison du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires. Le Conseil a jugé que ce principe exige que chaque article comprenne les mêmes prestations pour chaque soumissionnaire.[5] Dans le cas contraire, toute comparaison de ces prix unitaires et performances serait impossible. Un pouvoir adjudicateur ne serait donc pas en mesure d’expliquer le caractère anormal de certains postes en considérant comme un tout, d’un point de vue technique, des éléments de prix qui sont inclus dans d’autres postes.[6]
La chambre néerlandophone avait apparemment déjà autorisé le regroupement plus tôt, dans l’arrêt nv Besix et al.[7] Dans cette affaire, le Conseil s’est inspiré de l'(ancienne) disposition de la loi sur la recherche des prix et des coûts.[8] précise qu’une offre peut et doit parfois être refusée en raison de prix unitaires anormaux, et que cela doit être fondé sur une enquête et une justification par courrier. Toutefois, le Conseil a jugé qu’il ne découle pas de ce principe que toute responsabilité combinant plusieurs éléments serait toujours exclue. Le dossier administratif et la décision attaquée doivent alors montrer pourquoi dans un cas particulier la justification d’un prix unitaire sur la base d’un regroupement avec d’autres prix unitaires est acceptée.
Bien que le Conseil soit apparemment ouvert en principe à un regroupement des prix unitaires, le pouvoir adjudicateur dans l’affaire NV Besix et autres n’a pas examiné si un regroupement pouvait justifier un prix apparemment anormal. Le soumissionnaire ne l’avait pas non plus expliqué dans la justification du prix. Le Conseil n’a donc pas procédé à une évaluation du contenu de la technologie.
Cette jurisprudence a été répétée par la suite.[9] Dans une affaire datant de 2017, le conseiller-auditeur a donné l’avis suivant lors de l’audience (propre indication) :[10]
« Dans la mesure où un certain « regroupement » des postes aurait été supposé, le Conseil d’État a déjà accepté un tel « regroupement », mais il semble qu’il ressorte clairement du dossier et de la décision attaquée pourquoi, dans tel ou tel cas, Dans ce cas, un prix unitaire basé sur un regroupement avec d’autres prix unitaires est accepté.
Le Conseil a approuvé sans réserve cette conclusion. Cependant, dans ce cas également, le pouvoir adjudicateur et le soumissionnaire concerné n’ont pas remis en question/justifié de manière substantielle ce regroupement. Là non plus, le Conseil n’est pas parvenu à une évaluation approfondie de la technologie.
Dans une jurisprudence ultérieure, le Conseil d’État a systématiquement laissé plus de répit aux soumissionnaires pour appliquer cette technique. Dans l’arrêt sprl Norre-Behaegel, le Conseil a accepté pour la première fois une justification de prix pour une méthode de regroupement utilisée, qui était concrètement et numériquement justifiée.[11]
Avis actuel du Conseil d’Etat
Avec l’arrêt NV Dero Construct du 17 mars 2023[12] le Conseil d’État semble confirmer de manière générale que la technique du clustering est admissible, sous réserve que les conditions cumulatives suivantes soient remplies :
Le cahier des charges ne peut pas prescrire qu’un prix distinct doit être indiqué pour l’article en question ; et Le soumissionnaire doit être en mesure de fournir une explication concrète et motivée de la raison pour laquelle l’article en question est lié à un autre article en termes de prix ; et Le coût de l’article en question doit bien être couvert dans le devis quantitatif.
En outre, le Conseil répète également la phrase tirée des arrêts NV Swinnen et NV Besix e.a. susmentionnés, selon laquelle il doit ressortir clairement du dossier pourquoi le pouvoir adjudicateur, dans un cas particulier, a fixé le prix d’un article sur la base de un “clustering” avec un autre élément est accepté.
Par cet arrêt, le Conseil a également indiqué indirectement que le pouvoir adjudicateur peut prendre en compte, entre autres, les éléments suivants lors de l’évaluation d’un regroupement d’éléments :[13]
L’existence d’un but spéculatif ; et La valeur limitée (ou non) des articles regroupés par rapport au prix total. Les conséquences de ces jugements pour le soumissionnaire et le pouvoir adjudicateur
Avec les arrêts NV Betonac, NV Swinnen, BVBA Norre-Behaegel et NV Dero Construct, le Conseil attribue une responsabilité importante au pouvoir adjudicateur, pour deux raisons.
Premièrement, le Conseil souligne constamment le pouvoir discrétionnaire considérable du pouvoir adjudicateur pour décider d’accepter ou non les justifications dans le cadre d’une enquête sur des prix anormaux.[14] Dans ce dernier arrêt, le Conseil examine uniquement si le soumissionnaire a pu démontrer le lien entre les articles « groupés », si un prix a bien été inclus dans le devis quantitatif pour les articles concernés et s’il n’y a pas de risque de manipulation. ou spéculation..
Deuxièmement, lors de la recherche de prix et de coûts, les soumissionnaires peuvent rencontrer des difficultés pour fournir la justification nécessaire du prix ou du coût. Cela a déjà été souligné dans le Rapport au Roi à l’article 36 de l’Arrêté Royal Placement de 2017, concernant l’enquête sur le prix ou le coût (souligné par nous) :
« (…) Le soumissionnaire peut éprouver des difficultés à fournir la justification nécessaire de son prix ou de son coût. Sont ainsi considérés comme insuffisants : la simple confirmation du prix sans explication, une justification confuse, vague ou peu claire, etc.
Dans un tel cas, le pouvoir adjudicateur peut justifier lui-même ce prix ou ce coût, en tenant compte de ses propres connaissances ou d’autres informations qui ne proviennent pas du soumissionnaire. Elle devra toutefois transmettre les informations au soumissionnaire afin de lui donner la possibilité de répondre avant qu’il ne prenne sa décision. Cette obligation découle de l’article 69.3 de la directive 2014/24/UE, qui stipule que le pouvoir adjudicateur doit consulter le soumissionnaire lors de l’évaluation. De cette manière, le respect des droits de la défense est également garanti. Il est rappelé que le principe d’égalité s’applique également dans ce contexte. (propre désignation)
Dans ce contexte, le pouvoir adjudicateur a donc la possibilité de motiver ses propres raisons pour prendre également en compte des éléments ou des arguments qui ne figurent pas dans la justification du prix lors de l’évaluation de la justification du prix.[15] Toutefois, le soumissionnaire concerné doit être interrogé à ce sujet avant la décision finale.
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En résumé, les soumissionnaires qui souhaitent utiliser la technique du clustering feraient bien de justifier de manière approfondie, concrète et numérique pourquoi les conditions susmentionnées sont remplies lors de la soumission de leur offre.
Conclusion : la barre est haute, tant pour le pouvoir adjudicateur que pour le soumissionnaire.
En cas de questions ou d’incertitudes à ce sujet, l’équipe GD&A du département PPP – Marchés Publics – Concessions est toujours prête à vous accompagner en vous conseillant et en vous aidant.
[1] RvS 17 mars 2023, n° 256.058, NV Dero Construct.
[2] RvS 24 novembre 2010, n° 209.131, NV Betonac. ; RvS 2 juillet 2010, n° 206.395, NV Besix et al. ; RvS 30 octobre 2012, n° 221.238, NV Galère (chambre francophone) ; RvS 13 juin 2017, n° 238.505, NV Swinnen ; RvS 9 janvier 2020, n° 246.598, BVBA Norre-Behaegel ;
[3] J. TIMMERMANS, « Un prix de cotation ‘correct’ pour les marchés publics : un drapeau qui couvre de nombreux aspects », T.Aann. 2011, 28.
[4] K WAUTERS, J. VAN BELLE, « La lutte contre les prix anormaux dans les marchés publics : des « prix suicides » aux prix « normaux » », T.Avg. 2019, épisode 3, 153.
[5] RvS 30 octobre 2012, n° 221.238, NV Galère (chambre francophone), 12.
[6] B. SCHUTYSER, « La passation des marchés publics et les marchés publics dans la jurisprudence de la Cour de Justice et du Conseil d’État (2012-2014) : Un aperçu », T.Gem. 2015, épisode 4, 233.
[7] RvS 2 juillet 2010, n° 206.395, NV Besix et al.
[8] Art. 110, §3 Arrêté royal du 8 janvier 1996 relatif aux marchés publics de construction d’ouvrages, de fournitures et de services et aux concessions de travaux publics
[9] RvS 13 juin 2017, n° 238.505, NV Swinnen.
[10] Ibid.
[11] RvS 9 janvier 2020, n° 246.598, BVBA Norre-Behaegel.
[12] RvS 17 mars 2023, n° 256.058, NV Dero Construct.
[13] M. PEFEROEN, « Regroupement d’articles et de prix dans les marchés publics : toujours possible ? », NJW 2023, ep. 482, 400.
[14] RvS 24 novembre 2010, n° 209.131, NV Betonac ; RvS 13 juin 2017, n° 238.505, NV Swinnen ; RvS 9 janvier 2020, n° 246.598, BVBA Norre-Behaegel ;
[15]B. SCHUTYSER, « La jurisprudence de la Cour de Justice et du Conseil d’Etat en matière de passation des marchés publics (2010-2011) : Un aperçu », T.Gem. 2012, épisode 3, 237. ; RvS 2 juillet 2010, n° 206.395, NV Besix et al.
Source : GD&A Advocaten